09 octobre 2016

Analyse du livre « Tenir tête » (Gabriel Nadeau-Dubois)

L’essai de Gabriel Nadeau-Dubois sur le Printemps québécois, publié le 10 octobre 2013, a connu une popularité phénoménale. Pendant les vingt-trois semaines qui ont suivi son lancement, Tenir tête a figuré au Palmarès Gaspard/Le Devoir. Il a fait l’objet de maintes recensions. Par ailleurs, il est cité à plusieurs reprises dans le Rapport de la Commission spéciale d'examen des événements du printemps 2012.

L’architecture de l’essai

La structure de l’ouvrage est organique: dédicace, épigraphe, introduction, trois parties, épilogue, remerciements et chronologie. La première partie porte sur trois assemblées étudiantes débattant de la pertinence d’une grève générale illimitée. La seconde aborde les thèmes de la «juste part» et de l’«excellence». La troisième retrace les moments clés de la grève étudiante et de la crise sociale. Comme plusieurs passages de l’essai, les remerciements sont émouvants. Les repères chronologiques de l’annexe sont tirés de l’excellente anthologie Le Printemps québécois, par Maude Bonenfant, Anthony Glinoer et Martine-Emmanuelle Lapointe (Montréal, Écosociété, 2012).

Le caractère intimiste de l’essai

Tenir tête est encadré par une dédicace et les coordonnées de sa rédaction: À ma mère et à mon père, qui m’ont transmis leur amour des gens et de la justice | Saint-Antoine-de-Pontbriand, juin 2013. La nature intimiste de l’ouvrage est explicitement dévoilée dans l’introduction: J’ai écrit ce livre pour réfléchir à ce que cette grève a révélé de nous-mêmes, pour méditer sur la manière dont elle a transformé nos vies, et notamment la mienne. […] C’est mon récit […].

Un essai temporel

Héritage parental, lieu familial originaire, transformation personnelle. Ces thèmes des citations précédentes témoignent du sens historique chez Gabriel Nadeau-Dubois, un étudiant poursuivant alors la majeure de son baccalauréat en Histoire, culture et société à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM).

Tout au long de l’essai, les évocations de temporalité sont innombrables. Citons-en les marques initiales, les premiers mots de l’épigraphe et de l’introduction: Toute l’histoire des progrès de la liberté humaine… | Toute histoire a un commencement… Presque tous les chapitres débutent par une datation: Aujourd’hui (1), Mi-février (2), Octobre 2011 (3), En mai 2012 (5), Le lundi 23 avril (6), 21 avril (7), Nous sommes le 27 avril (8), Deux mois jour pour jour (10). Enfin, la phrase conclusive de l’essai: Au printemps 2012, nous avons marché vent debout, à l’envers du temps, et c’est vers nous que nous allions. Mais au-delà des événements évoqués, le jeune écrivain exprime sa vision de la vie et de la société, le sens de son implication et de son engagement.

L’éducation civique au cœur de l’essai

Gabriel Nadeau-Dubois ayant exprimé à maintes reprises son ambition de devenir professeur, soulignons une des facettes majeures de Tenir tête, sa dimension éminemment pédagogique. Attardons-nous à la première partie intitulée Trois assemblées générales. Axés sur la démocratie, les titres de chapitre sont révélateurs: À douze votes près, Une génération que l’on attendait plus, La haine de la démocratie. Comme au début d’un cours, l’auteur entre en scène d’une façon captivante. Il poursuit ensuite son exposé avec brio. Enfin, il conclut son enseignement par une ouverture sur la société.

Chacun des trois chapitres est constitué de deux sections. La première raconte les péripéties de l’assemblée étudiante, tandis que la seconde section en dégage le sens théorique et les implications pratiques.

Le premier chapitre raconte le déroulement de l’assemblée générale du 7 février 2012 au Collège de Valleyfield. La première section contient trois séquences (treize pages). Au point de départ, une dramatisation de l’événement: la fin du discours de Gabriel Nadeau-Dubois débutant par l’assertion Aujourd’hui, ici, au Cégep de Valleyfield, l’Histoire vous regarde. Cette entrée en matière est suivie de considérations sur l’importance stratégique du vote à venir. La dernière séquence porte sur la votation: le début du discours de Gabriel Nadeau-Dubois, puis les discussions et le déroulement du vote. La seconde section du chapitre rend hommage aux initiateurs de la grève (trois pages): Cette grande grève se déploie sur un spectre complexe dont les multiples facettes s’observent, se scrutent sous plusieurs angles, mais ce sont les militants et militantes de la première heure qui l’ont tout d’abord rendu possible.

D’un point de vue didactique, ce chapitre est construit d’une façon exemplaire: 1° (amorce) interpellation directe du lecteur par un discours passionné de Gabriel Nadeau-Dubois, 2° (enjeu) explication du contexte dramatique de l’événement et de l’importance stratégique du vote à venir, 3° (événementiel) récit circonstancié du déroulement survolté de la votation, 4° (conclusion) reconnaissance du travail méconnu et héroïque des premiers artisans du mouvement étudiant, et leçon pour les militants et les citoyens.

Le deuxième chapitre raconte le déroulement de l’assemblée générale du 21 février 2012 au Collège de Maisonneuve. La première section contient deux séquences (six pages). La première séquence est brève. Elle met en relief les sentiments personnels du porte-parole de la CLASSE quant à la mobilisation en cours et à la poursuite de la grève jusqu’au 22 mars, la grande manifestation nationale étant prévue pour ce jour-là. La seconde séquence raconte le déroulement harmonieux de l’assemblée: les prises de position contrastées et le résultat du vote largement favorable à la grève générale illimitée. La seconde section contient deux composantes (six pages). La première porte sur l’impact de ce résultat et l’envolée fulgurante consécutive en faveur de la grève: Ce soir-là, j’ai compris que la mobilisation de 2012 serait radicalement différente des précédentes. Gabriel Nadeau-Dubois conclut le chapitre en évoquant le monde monolithique dans lequel il a vécu jusqu’ici, un monde caractérisé par une économie néolibérale provoquant des révoltes populaires et étudiantes: C’est dans un contexte de bouillonnement politique mondial que le mouvement étudiant d’ici a surgi.

D’un point de vue didactique, ce chapitre est construit d’une façon exemplaire: 1° (amorce) sentiments mitigés de Gabriel Nadeau-Dubois sur la poursuite de la mobilisation étudiante, 2° (événementiel) déroulement étonnant de l’assemblée et vote massif en faveur de la grève, 3° (conclusion) mobilisation exponentielle, inusitée et inattendue de la jeunesse québécoise, 4° (épilogue) contexte mondial de contestation du néolibéralisme.

Le troisième chapitre raconte le déroulement de l’assemblée générale du 26 octobre 2011 au Collège Lionel-Groulx. La première section est très brève (deux pages et demie). Une séquence initiale où Gabriel Nadeau-Dubois prend la parole devant une foule hostile. La séquence suivante décrit succinctement le déroulement confus des discussions et du vote défavorable à la grève au cours d’une assemblée où la haine de la démocratie se manifeste ouvertement. La seconde section est constituée de plusieurs composantes (onze pages). La première concerne les fondements démocratiques du mouvement étudiant: Cette grève a été l’un des plus vastes chantiers d’éducation civique qu’ait connus le Québec. Pendant un an, dans des centaines d’assemblée, des dizaines de milliers de personnes ont débattu de l’avenir d’une institution et de sa place dans la société. En contraste, la deuxième composante a trait au mépris de la démocratie étudiante: Les opposants à la grève n’ont jamais pris au sérieux l’aspect pédagogique des assemblées générales étudiantes, pas plus que leur caractère hautement démocratique. La troisième composante souligne la contribution remarquable du mouvement étudiant à la politisation de centaines de milliers de personnes. Le bilan de la grève est formulé en conclusion: Cette grève, avec ses assemblées et le mouvement des casseroles qui en a été le sommet, a été la meilleure école d’engagement politique que l’on puisse imaginer.

D’un point de vue didactique, ce chapitre est construit d’une façon exemplaire: 1° (amorce) discours inaugural courageux de Gabriel Nadeau-Dubois, 2° (événementiel) déroulement chaotique des discutions et de la votation, 3° (argumentaire) respect des principes démocratiques et participation significative dans la très grande majorité des assemblées étudiantes, valorisation de la démocratie directe face à l’ineptie des opposants à la grève, 4° (conclusion générale aux trois chapitres) réussite méritoire de la grève.

L’agencement même des trois chapitres est didactique. D’abord, deux assemblées de 2012 favorables à la grève, la première par une très faible majorité, la seconde par une large majorité. La troisième, antérieure aux deux autres assemblées et tout en contraste avec celle du chapitre deux, est caractérisée par son indiscipline et son vote défavorable à la grève.

Cette analyse sommaire de la première partie de Tenir tête pourrait sûrement être formulée d’une façon différente. Toutefois, certains traits fondamentaux de l’exposé sont déterminants: un texte structuré dans ses moindres détails, une conviction sincère envers la démocratie et les institutions publiques, des argumentaires fondés sur des démonstrations factuelles, une visée éducative évidente. Les figures de style sont aussi une dimension remarquable de cet essai, par exemple celle-ci: N’en déplaise aux crapauds qui aiment les eaux mortes des marais et qui craignent le débordement des rivières au printemps, les débats et les conflits politiques, «la rue», ne sont pas l’ennemi de la liberté politique, ils en sont l’oxygène.

Appréciation

L’essai est le fruit d’une pensée profonde: chaque partie, chapitre et passage suscitent l’admiration, la réflexion, l’adhésion et l’action. Produit par un jeune humaniste, Tenir tête est exemplaire.

Référence

Nadeau-Dubois, Gabriel. - Tenir tête. - Montréal: Lux Éditeur, 2013. - 221p. - ISBN 978-2-89596-175-8. - Bibliothèques de Montréal et BAnQ: 371.81 N134t 2013.

Commentaires

Parmi les recensions dédiées à Tenir tête, celles-ci se démarquent:

01 | Gabriel Nadeau-Dubois dans la tourmente (Louis Cornellier, Le Devoir, 19 octobre 2013)
02 | Tenir tête: entrevue avec Gabriel Nadeau-Dubois (Julie Delisle, Le République, 21 octobre 2013) [Lien maintenant inactif]
03 | La rue, le livre (Entrevue de Gabriel Nadeau-Dubois, Le Délit, le seul journal francophone de l'Université McGill, 22 octobre 2013)
04 | Repenser - Heureux d’un printemps (Avryl Gosselin, Le Sans papier, 1er novembre 2013) [Lien maintenant inactif]
05 | Discussion entre Gabriel Nadeau-Dubois et Samuel Archibald ou comment réapprendre à tenir tête (Entrevue de Gabriel Nadeau-Dubois et Samuel Archibald à la librairie Le port de tête, Joakim Lemieux, Les méconnus, 7 novembre 2013)
06 | Le citoyen Nadeau-Dubois (Chantal Guy, La Presse, 15 novembre 2013)
07 | «Tenir Tête» de Gabriel Nadeau-Dubois: mettre les pendules à l’heure (Audrey Neveu, La Bible urbaine, 15 novembre 2013)
08 | Gabriel Nadeau-Dubois. Tenir tête (Nicolas Bourdon, L'Action nationale, janvier 2014)
09 | «Tenir Tête» revisits the Maple Spring (Nora Loreto, Rabble.ca, 6 mars 2014)
10 | Une critique teintée de rouge (Giguère, La Nouvelle Union, 15 mai 2014) [Lien maintenant inactif]

Prix littéraire du Gouverneur général 2014

Le 18 novembre 2014, le Prix littéraire du Gouverneur général, avec une bourse de 25 000 $, est attribué à Gabriel Nadeau-Dubois pour son essai « Tenir tête » :

Dans le communiqué, le jury explique son choix ainsi: «Tenir tête de Gabriel Nadeau-Dubois nous fait entrer dans les coulisses du printemps 2012 pour nous faire entendre ce que le gouvernement n'a pas voulu écouter et ce que les médias n'ont pas toujours su relayer. Dans un style simple et direct, il soulève la question de l'avenir de la démocratie.» (Chantal Guy, Gabriel Nadeau-Dubois remet sa bourse, La Presse, 19 novembre 2014)

Appréciation du récipiendaire:

«C'est avec étonnement que j'ai appris que le Conseil des arts du Canada me décerne le prix littéraire du Gouverneur général 2014 pour Tenir tête, mon premier livre. Cet honneur s'accompagne d'une bourse importante. En tant que progressiste et indépendantiste, je me suis posé beaucoup de questions sur ce que je devais faire avec ce prix et la bourse qui l'accompagne. J'ai décidé de les redonner à ceux et celles qui, ici et maintenant, défendent le bien commun au Québec.» (Page Facebook de Gabriel Nadeau-Dubois)

Doublons la mise:

Le 18 novembre dernier, le Conseil des arts du Canada a remis à Gabriel Nadeau-Dubois le prix littéraire du Gouverneur-Général pour son essai Tenir tête, publié chez Lux éditeur. Cet honneur, décerné par un jury de pairs, est accompagné d’une bourse de 25 000 $. Gabriel Nadeau-Dubois a décidé de remettre cette bourse à la campagne Coule pas chez nous, un regroupement de citoyens et de citoyennes qui tiennent tête aux pétrolières qui menacent de transformer le Québec en autoroute pour le pétrole sale de l’Alberta. (Doublons la mise, 24 novembre 2014)

«Je donne ce prix à ceux qui défendent le pays réel» (Gabriel Nadeau-Dubois, Lettre au Devoir, 24 novembre 2014)

Remarque

Cet article reprend la recension parue initialement le 9 octobre 2014.

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Livre numérique gratuit

Le livre numérique Société contient des comptes rendus sur quatre productions de Gabriel Nadeau-Dubois: Les jeunes d’aujourd’hui, Tenir tête, La révolte des riches, Libres d’apprendre.

Ce recueil regroupe une sélection de comptes rendus sur des ouvrages relatifs à la société: sociologie, science politique, économie politique, administration publique, problèmes sociaux, éducation, commerce, ethnologie, philosophie. Une ou des références bibliographiques complètent les commentaires. Une table des matières interactive permet d’accéder directement aux auteurs et livres désirés.

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